ENLÈVEMENT À DOMICILE

 

Il était là dans la chambre d’à côté. 

Aucun bruit, le silence enveloppait le salon où nous étions assis.

C’était la première fois que je visitais cet appartement.

Nous étions nombreux. 

 

Personne ne parlait. 

 

Il s’est vite créé une chorégraphie des mouvements.

Des regards qui se croissent et qui déclenchent des demi-sourires empathiques.

Les passages aux toilettes, les allers-retours à la cuisine pour parler au téléphone 

avec des gens inconnus de l’autre côté de l’Atlantique. 

Les corps qui s’approchent, qui s’entrelacent, les larmes qui coulent.

 

Nous nous détachons,

d’autres bras nous attrapent,

d’autres mots nous sont chuchotés.

 

L’attente semble infinie, la douleur au centre de la poitrine s’intensifie,

respirer devient de plus en plus difficile. 

 

Les escaliers du bâtiment sont devenus le lieu des décharges émotionnelles.

     Un rituel s’installe et ceux qui ont envie de pleurer, 

de s’abandonner à la douleur, sortent et s’écroulent au sol. 

 

        Nous nous asseyons sur les marches et nous partageons un mot avec celui qui se trouve à son tour dehors.

Nous reprenons notre souffle et nous retournons dans le salon en silence. 

 

Tu devais trouver cela ridicule. 

 

Ils sont finalement arrivés, 

ils sont venus te chercher. 

 

Je ne t’ai pas vu. 

Elle m’a prise dans ses bras pour détourner mon regard, 

pour ne pas que je te vois. 

 

Ils sont partis, 

toi aussi.

L

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 LA SORTIE

 

Tu avais peur,

il t’a demandé de monter derrière lui sur le cheval.

 

Tu n’avais pas le droit de le toucher,

ni de t’accrocher à lui.

 

Nulle part où te tenir pour ne pas tomber. 

Tes mains trempées de sueur, 

le trajet t’a paru éternel. 

 

Sans te rendre compte, 

tu as mis tes doigts dans les anneaux de la selle.

Ils ont gonflé et se sont coincés.

Impossible de te libérer quand vous êtes finalement arrivés.

 

Tu étais tellement bête !

 

Tu pouvais plus te détacher,

tu ne pouvais pas descendre. 

 

Il s’est encore énervé.

Il a menacé de te frapper si tu ne sortais pas vite 

tes doigts coincés des anneaux.

Tu as oublié comment,

tu ne te rappelles plus mais tu as réussi à te libérer.

SANS TITRE

 

 

Il t’a demandé de les nettoyer. 

Ses demandes étaient des ordres mais

        tu as osé l’ignorer et quitter la maison.

 

Tu te pensais indépendante 

parce que tu avais un boulot.

 

Tu te croyais autonome, une adulte.

 

Tu ne pouvais pas imaginer ce qui t’attendait le soir en rentrant.

 

Ils ont dû faire pareil avec lui là-bas, qui sait…

 

Quand tu as ouvert la porte, il s’est précipité sur toi.

Il t’a frappé sans pitié avec une ceinture en cuir.

            Tu t’es jetée à terre et ratatinée pour essayer de te protéger des coups.

Il a eu le temps de trouver une ceinture plus épaisse. 

 

Il s’est essoufflé, 

il avait mal au bras et au dos d’être penché sur toi.

             Tu ne bougeais plus.

Il s’est donc levé et a commencé à te donner des coups de pied,

             puis, il s’est arrêté.

 

Tu as eu du mal à sortir de cette position fœtale, 

tes lèvres sèches, 

      aucune larme.

 

Il t’a demandé de partir, 

        de ne plus jamais revenir.

 

Tu as mis tes quelques affaires dans un sac plastique noir 

et tu as pris la route.

Il était tard.

            Tu avais peur de la ville, 

de la nuit.

            Tu avais peur de tout.

L’USINE

 

Le temps passait très lentement,

le canapé en cuir de ton bureau était toujours très 

froid, 

l’odeur suffocante des tissus pénétrait la pièce. 

Ma photo dans un cadre poussiéreux décorait un des murs,

 

ta secrétaire – fidèle – s’occupait de moi

pendant que tu travaillais entre les machines.

 

Le visage dur,

l’air toujours mécontent,

tu hurlais sur les gens.

Tu abusais de ton pouvoir.

      

Tes ouvriers n’osaient pas te regarder dans les yeux, 

     ni te quitter.

Ils avaient peur, 

     leurs besoins les obligeaient à rester.

 

Je t’espionnais depuis la grande fenêtre à l’étage,

 

la gorge sèche à cause des particules fines

émanant des tissus,

 

le ventre vide qui gargouillait.

 

     Tu oubliais que j’étais là.

NONNA

 

Tu levais la tête 

pour regarder le ciel

en tenant ton chapeau

de ta main ridée

pleine de tâches de soleil.

Tu nous signalais qu’il était midi

tu le savais par la position du soleil.

 

Le soir,

tu nous racontais des histoires sur les étoiles, 

los luceros.

Tu étais persuadée que tous ceux qui avaient quitté ce monde, 

étaient devenus lumière là-haut,

los luceros

 

Tu ne mangeais pas à table mais sur une chaise,

ton assiette reposant sur la main.

L’habitude.

 

Tes yeux bleues et brillants, 

tes cheveux blancs tressés,

tes fines lèvres et

       tes gencives vides, rosées.

Ton odeur mentholée,

tes phrases mal formulées,

tes mots mal prononcés,

ta chambre géante et vide.

Ta tête lucide et mystérieuse.

 

Mi nonna